Atelier d'écriture... à distance !
Prenez le temps de parcourir les essais des écrivains.
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Nous détestions / Nous aimions Il s’agit d’utiliser une forme répétitive évoquant deux aspects de notre rapport à la nature. Un premier texte énumèrera en détails une succession de situations introduites par Nous détestions. Il sera suivi d’un deuxième texte énumérant une succession de situations introduites par Nous aimions. ( Un texte construit sous cette forme a été écrit par Jean-Pierre Verheggen, poète belge contemporain, peut-être dans La Belge de Cadix) Ex : Nous détestions les cris des indignés permanents, les vociférations des harpies colériques, les hurlements des dominants méprisants… Nous détestions les carabines meurtrières, les flashballs aveuglants, le massacre des… Nous détestions les semeurs de haine Nous aimions beaucoup les joyeux festivals estivaux des villages, les foules bigarrées des… Nous aimions les criantes expressions du mime, les plaintes déchirantes des tragédiens… Nous aimions beaucoup la liberté des arts de la rue. (A.T.)

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On a dit et écrit de notre famille qu’elle avait vécu en sauvages, que nous errions dans la forêt, insûrs du lendemain, incultes, asociaux. C’est méconnaître ce que nous vivions. Nous avons été pour vous des mystères. Les mystères suscitent votre peur.
Nous nous souvenons comme nous-mêmes avons détesté la vie dite normale quand nous la découvrîmes malgré nous. Car, oui, nous avions notre vision de la vie, celle que nos parents avaient choisie pour nous. C’était notre culture. Celle qui a été percutée par votre société d’agités, lorsque le projet d’aéroport est devenu un chantier réel dans notre forêt.
Nous étions trois frères et une sœur et nos parents nous aimaient et nous nous aimions. Nous étions société humaine de l’ampleur d’une famille. Nous n’étions pas des sauvages. Nos parents nous protégeaient, nous avaient éduqué et instruits. Ils étaient cultivés.
La nature aussi nous éduquait, tous et chacun.
Lorsque les machines ont approché notre maison, nos parents nous ont appris que le monde que nous savions exister au-delà des arbres et des prairies - nous avions aperçu quelquefois d’autres humains, dont nous nous cachions instinctivement – était régi par une infinité de règles dont une était l’interdiction d’habiter cette forêt. Règle absurde, anihilatrice.
Nous prîmes nos affaires les plus précieuses et avançâmes vers ce que vous appelez la civilisation. Et la civilisation nous saisît. Nous fûmes examinés et pris en charge, provisoirement. Nous dûmes supporter l’afflux de nouveautés. Nous partageâmes les mêmes émotions.
Nous détestions le bruit. Mais nous aimions les musiques de votre monde.
Nous détestions les rues et les immeubles. Mais nous aimions les étendues des plaines où le regard peut embrasser large et loin.
Nous détestions les concentrations humaines, autour de nous, celles des journalistes et des curieux autant que plus tard celle des foules quotidiennes. Mais nous aimions contempler la diversité des visages, des corps et des vêtements.
Nous détestions la futilité des préoccupations de nos semblables. Mais nous aimions les débats d’idées et l’imagination incroyable des hommes qui s’exprime dans leurs livres et leurs films.
Nous détestions l’accumulation des artefacts. Mais nous aimions le confort et la sécurité physique qu’ils procurent.
Nous détestions la vitesse des transports modernes. Mais nous aimions découvrir d’autres pays, d’autres gens.
Aujourd’hui, je suis seul. Après nos parents, mes frères et ma sœur sont morts. Oh, pas bien vieux par rapport à la plupart d’entre vous. Et je sens bien que ma mort ne tardera pas. J’envie ceux que leur destin ne contrarie pas.
Jean-Yves Gadeceau
Nous détestions, croiser des personnes abimant notre cher forêt, que nos coins de cueillette soit détruit, de trouver des pièges contre les animaux, de voir certains identifier qui vont couper, de voir certains endroits dénués d’arbres auparavant… Nous détestions voir les près vides soudain pendant l’hiver, découvrir ma rivière tout geler sans rien qui bouge, ne plus trouver d’insectes ou d’animaux qui faisaient leurs vies tranquillement.
Nous aimions nous promener dans la quiétude des profondeurs d’une forêt, l’air violent qui passe dans les arbres, la tranquillité sur les divers sentiers, le murmure d’une brise dans les feuilles verdoyantes, l’orage violent qui colore le ciel… Nous aimions le doux goût du foin coupé dans les près, le bruit de la rivière qui coule doucement, l’herbe tendre qui caresse les jambes, les papillons qui virevoltent dans les fleurs,
Mama
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Nous détestions les nuées de moucherons, le bruit de la fuite d’un animal rampant, la peur de se perdre, les passages canadiens pour les vaches, le vide qui coupe les jambes, faire pipi dehors.
Nous aimions les odeurs fortes de l’humus, l’épaisseur craquante des feuilles, les décors de mousse, les bleus des fleurs discrètes, les notes tourmentées des torrents, le parfum sucré des aubépines, les pelouses enclavées, les abris rocheux accueillants, les échanges musicaux des oiseaux.
Sylvie Seignez

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• Sortir entre détestation et amour
Nous détestions les grains de sable vicieux s’insinuant partout, les gros rochers tranchants sur lesquels trébucher, les tasses bues dans une eau sombre et trop salée, les longues algues vertes par nos jambes effleurées…
Nous détestions les balades trop longues imposées par nos pères, les heures d’errance causées par des cartes trompeuses, les ronces pernicieuses qui attaquent les mollets, les souris secourues qui vous mordent le doigt…
Nous détestions les serpents cachés derrière les lauriers roses, les mille aiguilles plantées par les figues dans nos doigts, les tricots rayés menaçants tapis dans le lagon, les dromadaires fougueux lancés au grand galop…
Nous détestions le fenouil au fort goût anisé, l’odeur du tabac froid dans les cheveux, les gens qui parlent fort, la musique aux basses vrombissantes des free party…
Nous aimions les plages gorgées de lumière, nos pieds nus massés par la poussière dorée, les poils de nos bras devenus blancs, le goût de nos peaux brunes et salées…
Nous aimions suivre les traces des trolls mystérieux, le chant des oiseaux interrompu par nos bavardages, les fraises des bois dégustées sans se soucier de la rage, l’élan qui traverse sereinement en nous regardant dans les yeux…
Nous aimions les fleurs sauvages transformées en parfums, en couronnes et en colliers; les mûres, pour les confitures et les tartes, ramassées par seaux entiers; les eaux turquoise traversées à la nage, en canoë, en catamaran ; les animaux domestiqués qui nous apprivoisent tout autant…
Nous aimions l’aube qui se lève à Cherbourg, les mouettes rieuses, le camembert, partagé à la criée ; les immenses mains du père qui vous caressent la joue ; les engueulades à l’italienne avec pâtes à volonté ; les frères et sœurs avec qui et danser sous la pluie et chanter de bonheur.
Tiphaine

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Nous détestions cette ville, son brouillard épais, ses rues désertes, cette morosité ambiante et cet appartement étouffant.
Nous détestions ces cigarettes grillées nerveusement, cet alcool qui nous grisait pour étouffer le bruit de ce trop grand silence, les cris perçants de nos petits-enfants qui tournaient en rond, cet enfermement, ce confinement, cet emprisonnement, cette immobilité.
Nous détestions les télés, ses invités, ces spécialistes, leurs blablabla incessants, l’hypocrisie, les gens masqués, la laideur et le froid de l’hiver.
***
Nous aimions nos rêves chimériques, nos voyages dans étoiles, les vastes étendues
verdoyantes, la chaleur des déserts, la fraicheur de leur oasis, notre cachette au fond du jardin et notre maison en carton.
Nous aimions, faire des pâtés de sable sur la plage, marcher dans les flaques d’eau, rouler dans le paille, courir à perdre haleine, courir à s’attraper, patauger dans le ruisseau
Nous aimions, jouer à la marelle, jouer à colin-maillard, jouer aux gendarmes et aux voleurs, soigner et guérir nos poupées et nos nounours, dormir dans notre cabane dans les arbres,
Nous aimions, cette glace léchée à deux, ce sourire de connivence, nos rires d’enfants, nos bisous timides dans le cou, nos cheveux au vent, nos mains liées pour une éternité.
Nous aimions cette envie de chanter à tue-tête, même faux, cette vie qui nous tendait les bras, nos désirs de jeunesse, nos chamailleries d’école, notre timidité, nos petites disputes.
Nous aimions ces lieux mélodieux de nos joies communes et humides de nos larmes.
Nous aimions nous dire :
« Tu m’aimes un peu ? »
« Tu m’aimeras toujours ? »
Alain Demotte