Le pull-over
Au marché, il était déposé là, sur un étal bas, sur un vieux lit de camp, avec de nombreux effets, la plupart usés, rapés, sans forme ; quelques uns au contraire étaient tout neufs, à peine froissés, avec une étiquette parfois ,
Etiquette, témoin d'une vie antérieure dans un vrai magasin où le pull avait sans doute cotoyé des frères. Des regards s'étaient posés sur eux, souvent rapides mais parfois soutenus, regards accompagnés de l'effleurement d'une main ou d'une prise en mains précise et forte cherchant à évaluer la qualité, la tenue et la résistance de leur constitution. Mais lui, contrairement à ses frères n'avait jamais été retenu. Il n'avait pas plu et avait atterri, en fin d'hiver, au fond d'un carton profond qui s'était rempli au fil de la saison suivante.
Un matin le pull sentit ses derniers jours arriver, il étouffait, un grand bruit le réveilla brusquement. Il fut balloté sans ménagement ; son carton fut déplacé, lancé, roulé, choqué brutalement, et pour finir il fut transporté dans un véhicule qui vibrait sur les pavés dans un bruit étourdissant. Après quelques heures, le véhicule s'immobilisa ; un grand silence se répandit et le froid s'insinua, de plus en plus mordant.
Au petit matin, il se retrouva sur cet étal dans un agglomérat de vêtements. Le jour se levait, il put reprendre ses esprits, enfin.
Il entendit des voix ; des mains cherchaient dans les étoffes : qui un tissu léger, qui un lourd velours, qui un coton fleuri, car, oui, dans ce tas, les couleurs chatoyantes et les fibres se lançaient des éclats de vie.
En ce début d'été, le pull-over ne fut pas convoité ; il n'était plus de saison.
Vers midi, les clients ne se pressaient plus. La vente était sur le point de se terminer quand, Il se sentit saisi par une main volontaire, une main qui le tirait sans réussir toutefois à l'extirper de la masse. Venu à la rescousse, le vendeur prit le tas à pleines mains, le secoua, le brassa énergiquement ; le pull libéré, tel un élastique, fit un vol plané et atterrit sur une tête bouclée, surprise, et qui sentait fort bon, un parfum de fleurs.
Eclats de rire
Eclats de joie
Jeté sur les épaules, le pull avait trouvé un chaland heureux
Il eut le plaisir de sentir le contact de la peau, les courbes du corps, les mouvements amples d'une jeune fille rieuse entourée de copines tout aussi enjouées. Ce jour là, elles avaient toutes acheté un vêtement. Elles se réunirent après afin de tester les trouvailles de chacune. Ce fut jour de fête. Jour de chants, d'éclats de voix, de danses ponctués de fous rires.
Le pull se retrouva sur les épaules de Jeanne qui rentra chez elle.
Enfin seuls !
Mium