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Le sermon sur la chute de Rome / Jérôme Ferrari
Livre
Edité par Actes Sud. Arles (Bouches-du-Rhône) - 2012
Un petit village corse se voit ébranlé par les prémices de sa chute à travers quelques personnages qui ont tout sacrifié à la tyrannique tentation du réel.
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Un beau Goncourt
Plusieurs destins se croisent dans ce roman dont l'action court sur plusieurs générations. le récit démarre par la description de Marcel, un vieil homme revenu sur son ile après un parcours chaotique. Dans son petit village corse, le bar se meurt suite à des mauvaises gestions successives. Il va être repris par deux jeunes, amis d'enfance, Matthieu le petit-fils de Marcel, et Libero, qui abandonnent leurs études de philosophie, pour essayer de redonner vie à ce lieu et afin de se rapprocher d'un idéal de vie simple et authentique. Matthieu n'a jamais vécu dans l'ile, hormis pendant ses vacances, Libero, lui, est de retour dans son village dont il avait réussi à s'évader. Leur ambition ? Transformer ce modeste lieu en « meilleur des mondes possibles » selon l'enseignement de Leibniz. L'entreprise démarre bien, alors que le village semblait sur le point de mourir, les deux ex-étudiants vont transformer le bar à la dérive en établissement convivial et attirant, apportant à tout le village un bonheur nouveau et inattendu. Mais bientôt tout va se dérégler et ce petit bonheur vire au cauchemar, ce qu'ils avaient bâti tombe en poussière car, victimes de leur succès, ils vont perdre leur âme. Les deux amis assistent à leur chute et à celle de ceux qui les entourent ; ils l'ont orchestrée eux-mêmes sans s'en rendre compte. Les ex-apprentis philosophes sont frappés par la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient. Avec beaucoup de subtilité l'auteur illustre leur chute avec le sermon par lequel saint Augustin tenta en 410, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres. La relation à Augustin est permanente : Libero a fait son mémoire de master sur sa vie et Aurélie, la sœur de Matthieu, fait des fouilles archéologiques sur l'ancien site d'Hippone, en Algérie, pour retrouver la cathédrale d'Augustin, lieu où celui-ci vécut. Augustin est donc doublement présent : il va ainsi servir de « révélateur » de la crise évoquée par le livre, parce que les héros ont le sentiment de créer un monde, et le « meilleur des mondes possibles ». Cette recherche du passé donne du sens au présent mais pour les deux époques, Vème et XXème siècle, nous avons le même thème, la mort des idéaux. Avec un style remarquable, Jérôme Ferrari a un rare talent pour décrire la complexité de la vie et des rapports humains. « le monde est comme un homme, il nait, il grandit, il meurt », le sermon de Saint Augustin va lui servir de tremplin pour décrire avec brio la vie de plusieurs générations d'hommes et de femmes tout au long du XXème siècle. Le style avec ses très longues phrases qui peuvent donner le vertige rappelle parfois Proust mais le lecteur ne perd jamais le fil de l'histoire. Professeur de philosophie, Jérôme Ferrari sait intégrer celle-ci à petites doses dans son roman, tel un fil conducteur, ce qui invite à une réflexion à travers le destin tragique des personnages. Le lecteur est sans cesse entrainé par l'écriture enlevée du roman, un beau Goncourt.
M BERTRAND Jean-Daniel - Le 24 mai 2021 à 22:05